VOLTAIRE : Les animaux ne sont pas des machines
Extrait du Discours philosophie, "les Bêtes", 1764
« Quelle pitié, quelle pauvreté d’avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n’apprennent ni ne se perfectionnent en rien. Quoi ? Cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l’attache à un mur, qui bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle quand il est dans un arbre ? Cet oiseau fait tout de la même façon ? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois n’en sait-il pas plus au bout de ce temps qu’il n’en savait avant tes leçons ? Le serin à qui tu apprends un air le répète-t-il dans l’instant ? N’emploies-tu pas un temps considérable à l’enseigner ? N’as-tu pas vu qu’il se méprend et qu’il se corrige ? (…) Porte le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l’a cherché dans tous les chemins avec des crix douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet son maître qu’il aime, et qu’il lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses. Des Barbares saisissent ce chien qui l’emporte si prodigieusement sur l’homme en amitié, ils le clouent sur une table et le dissèquent vivant pour te montrer les veines mésaraiques. Tu découvres en lui tous les mêmes organes du sentiment qui sont dans toi. Réponds-moi, machiniste, la nature a-t-elle arrangé tous les ressorts du sentiment, afin qu’il ne sente pas ? A-t-il des nerfs pour être impassible ? Ne suppose point cette impertinente contradiction dans la nature. »
Dictionnaire philosophique, Article « Bêtes », 1764